Développer un outil permettant de mesurer le niveau de transparence des marques de luxe et leur impact sur l’environnement et leur écosystème, tel est le défi que se sont lancé deux femmes issues des mondes académique et entrepreneurial dans le cadre d’Enterprise for Society: la Prof. Felicitas Morhart à HEC Lausanne (UNIL) et Margot Stuart de la société OriginAll, en partenariat avec l'IMD.
Découvrez l'interview des personnes à l’origine de ce projet soutenu par Enterprise for Society. Du côté académique, la professeure et chercheuse à HEC Lausanne (UNIL), Felicitas Morhart, experte dans le domaine du luxe et fondatrice du Swiss Center for Luxury Research, et le professeur Stéphane JG Girod, expert du luxe à l’IMD. Du côté entrepreneurial et technologique, Margot Stuart, co-fondatrice et COO d’OriginAll, une société suisse spécialisée dans les technologies et plateformes visant à lutter contre le marché des contrefaçons.
1. En quoi consiste ce projet d’index et quel est son but?
[Felicitas Morhart]: Les technologies de traçabilité et de sécurité jouent un rôle central pour les marques qui souhaitent s’engager en matière de durabilité et de responsabilité sociale. Elles offrent plus de transparence dans la chaîne de production et permettent d’identifier l’origine des produits et des matières utilisées, aussi bien à l’interne qu’à l’externe. Ce futur index aura pour but de suivre l’évolution de l’utilisation de ces technologies par les acteurs de l’industrie du luxe, et de mesurer ainsi le niveau de transparence qu’elles offrent à leurs clients.
2. Quel est l’impact de ces technologies sur le marché des contrefaçons?
[Margot Stuart]: Elles sont importantes dans la lutte contre le marché des contrefaçons qui ne respectent aucune norme de sécurité et peuvent mettre leurs propriétaires en danger. Le manque de traçabilité et la longue portée d'Internet font courir un risque aux marques de luxe qui peuvent voir leur responsabilité engagée si le public associe des produits de contrefaçons défectueux directement aux marques. Par exemple, les risques liés à l'utilisation de lunettes de soleil contrefaites sont élevés, car elles peuvent ne pas fournir une protection adéquate à leur porteur. Il en va de même pour les parfums ou les vêtements qui sont en contact direct avec la peau et qui peuvent contenir des substances dangereuses.
3. Quel coût à l’économie mondiale représente ce marché des contrefaçons?
[Margot Stuart]: Selon l’ICC (Chambre Internationale du Commerce), la contrefaçon et le piratage représenteront d’ici fin 2022 un coût pour l’économie mondiale estimé à plus de USD 4.2 milliards de dollars. C’est une source colossale de financement des organisations criminelles et terroristes et un catalyseur majeur de corruption. Or les contrefaçons dans le domaine des produits de luxe représentent plus de 60% à 70% de ce marché [source]. Et ce chiffre pourrait bien continuer d'augmenter comme le marché du luxe de seconde-main dépassera à terme celui de l'industrie même du luxe, offrant de nouvelles opportunités aux contrefacteurs.
4. Quelles réponses amène ce projet aux consommateurs et consommatrices de produits de luxe ?
[Felicitas Morhart]: Ce projet permet aux consommateur·trice·s de prendre conscience du lien qui existe entre le marché des contrefaçons, le trafic illicite et la durabilité, et ainsi de les sensibiliser à ces différents aspects. Il leur offre la possibilité de faire ensuite des achats en toute connaissance de cause, et au plus proche des consciences.
[Stéphane JG Girod]: Si notre objectif est bien sûr d’aider les marques à réduire la contrefaçon et ce faisant la criminalité organisée qui la sous-tend, il ne faut toutefois pas oublier que la majorité des achats de faux articles sont réalisés par des clients qui veulent acheter de la contre-façon, et plus particulièrement dans le contexte d’explosion des prix du luxe de ces dernières années. Assurer la transparence et l’éthique de la chaine de valeur est donc un objectif encore plus important.
C’est également l’occasion de donner une chance aux nouveaux modèles circulaires pour une économie durable.
5. Comment intervient la dimension recherche dans ce projet ?
[Felicitas Morhart]: Le projet va se dérouler en deux phases.
Aujourd’hui, très peu de données existent dans le domaine de l’industrie du luxe. En collaboration avec OriginAll, les chercheur·euse·s de HEC Lausanne, ainsi que le Prof. Stéphane JG Girod, chercheur à l’IMD, vont collecter et analyser des données auprès des marques de luxe participant à l’étude, pour créer un index. Concrètement, cela se traduit par une plateforme commune où les différentes marques indiquent avec quelles solutions de traçabilité et de sécurité elles travaillent et présentent leur retour d’expérience. Cette plateforme se veut neutre, le but étant de partager des expériences et de démontrer qu’il existe une pluralité de solutions pour qui souhaite agir dans le sens de la durabilité et stimuler un call-to-action en faveur de la durabilité.
Sur cette base, il est prévu de développer dans un deuxième temps des indicateurs de performance (KPIs – Key Performance Indicators) pour la construction d’un indice.
En matière d’enseignement, ce projet d’index fera partie des projets réels sur lesquels les étudiantes et aux étudiants du nouveau programme de Master en technologie et management durable d’E4S peuvent travailler pendant leur cursus.
