Un empire de restaurants se construit avec son mari David Sinapian, 400 employés, 25 millions d'euros de chiffre d'affaires.
La dernière création du groupe valentinois, c'est La Dame de Pic du Raffles de Singapour, un grand hôtel de légende où la fille de Jacques Pic, trois étoiles déjà sur la Nationale 7, a été choisie en priorité face à des cuisiniers célèbres. Alain Ducasse a hérité du bistrot chic de l'établissement mythique, autrefois en bord de mer.
Cette petite femme brune au regard pétillant, cuisinière passionnée par la créativité des plats est partout demandée: à Londres, à Lausanne, à Dubaï, à Paris avec le Daily Pic Beaupassage (75007). La mère de Nathan, 14 ans, croule sous les propositions avantageuses –une table à New York en discussions avancées.
Le berlingot salé et farci, c'est la première spécialité de celle qui a la cuisine dans le sang et les gènes, elle a composé plus de 200 plats tous originaux, jamais copiés de chefs fameux ou inspirés de préparations culinaires à la mode.
«Anne-Sophie ne s'éclate que dans la création», indique son mari David Sinapian, le meilleur connaisseur de son répertoire fascinant d'inventivité.
Quand son père Jacques Pic, génial cuisinier, meurt subitement en plein service en 1992, Suzanne son épouse, Anne-Sophie et Alain son frère sont dévastés par le chagrin: l'épreuve est inhumaine. Jacques Pic était un saint laïc, un homme de cœur et de bonté partout estimé.
Et, double peine, le Michelin supprime la troisième étoile, cruelle sanction. «Pour moi, c'était la seconde mort de mon père, le coup de grâce.» Elle a 23 ans et elle ne se destine pas à la cuisine d'art, elle a fait des études poussées dans une école de commerce à Paris et a trouvé un job au Japon chez Moët et Chandon. Le décès brutal de Jacques Pic va changer son destin.
Pour l'amour de son père, créateur du bar au caviar (chef-d'œuvre), de la salade des pêcheurs, du gratin de queues d'écrevisses, du soufflé glacé à l'orange et au Grand Marnier, elle se met au piano, d'abord avec son frère Alain puis seule à la tête d'une brigade de gros bonnets savants, dépositaires de la mémoire culinaire de Jacques Pic, l'égal de Fernand Point à Vienne et d'Alexandre Dumaine à Saulieu.
Ce trio de maîtres cuisiniers a jeté les bases de la noble cuisine de la France provinciale. Sacha Guitry se marie chez Point et Charles de Gaulle et son épouse ont fait étape chez Pic à Valence en descendant vers la Méditerranée et Toulon où ils vont voir leur fils, le futur amiral Philippe de Gaulle.
Quel défi! Prendre la suite de son père alors qu'elle n'a jamais manié les casseroles, cuit une poularde de Bresse ni dressé le délicieux gratin de queues d'écrevisses, le jeu en vaut la chandelle car Anne-Sophie est portée par l'image, l'énergie, le souvenir de Jacques Pic: continuer son œuvre de restaurateur fameux, inoubliable. Les bons mangeurs viennent de Lyon, Marseille et Paris, ce sera sa mission et son devoir à Valence, sa raison d'être.
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