HEC Lausanne veut montrer la voie vers une nouvelle économie; entretien avec son doyen.
Doyen de la faculté des HEC de l’Université de Lausanne, Jean-Philippe Bonardi quittera ses fonctions fin juillet 2021 après 6 années à ce poste. Il nous dévoile ce qui fait, selon lui, la spécificité de HEC Lausanne et qui permet à la faculté de se placer parmi les meilleures écoles de management et d’économie en Europe.
Qu’est-ce qui fait de HEC Lausanne une école aussi unique ?
Notre histoire constitue un aspect très important du caractère unique de l’institution. Nous sommes à la fois une faculté de sciences économiques et une école de management, deux activités que nous menons de front et de manière conjointe. C’est en 1911 que l’Université de Lausanne a fondé l’École des hautes études commerciales (HEC) ; toutefois la genèse de nos activités actuelles avait déjà démarré vers 1870, à l’époque où l’Académie de Lausanne créait la première Chaire en Economie Politique et engageait Léon Walras. Ce dernier a joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’économie, puisqu’il a directement contribué à l’élaboration du concept d’utilité marginale, lequel a révolutionné la microéconomie et a permis une application large des mathématiques en économie. Vilfredo Pareto prendra ensuite le relai, proposant lui aussi plusieurs innovations importantes en économie, mais avec des implications importantes pour les sciences sociales et, plus tard, pour le management. Beaucoup d’autres chercheurs·euses et innovations suivront, par exemple récemment en matière d’innovation par les modèles d’affaire. J’insiste sur cet historique car il détermine pour moi l’ADN de HEC Lausanne, que l’on peut articuler autour de trois éléments: (1) rigueur dans l’utilisation de méthodes quantitatives, (2) interdisciplinarité, et (3) innovation en matière d’idées et d’outils d’analyse.
Mais le plus intéressant dans tout cela est qu’il ne s’agit pas seulement d’un héritage historique, mais aussi d’atouts et de compétences pour le monde qui est en train de se dessiner. Je pense notamment au rôle et à l’analyse des données, qui deviennent de plus en plus importantes dans une économie digitalisée. Nous disposons d’un bon nombre de cours évolutifs, destinés à enseigner aux étudiant·e·s comment analyser ces données (le fameux ‘big data’), mais surtout leur faire dire quelque chose. Au-delà de la recherche de corrélation, la vraie question est celle de la causalité: Quel phénomène a un effet causal sur un autre? Comment utiliser les données aujourd’hui disponibles pour répondre à cette question? Ce sont les types de problématiques, centrales pour l’économie de demain, sur lesquelles travaillent à la fois nos chercheurs·euses et nos étudiant·e·s. C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons entamé des réformes de nos programmes de Bachelor et de Master. Et il y en a beaucoup d’autres. C’est là que se trouve le cœur de HEC Lausanne, et qui en fait un acteur unique parmi les écoles d’économie et de management en Europe et dans le monde.
De quelle manière l’école montre-t-elle la voie pour une transition vers une nouvelle économie?
C’est une question très intéressante et importante, qui touche à une autre dimension de ce qui fait HEC Lausanne aujourd’hui: sa position centrale au sein d’un éco-système très riche. L’année dernière, nous avons par exemple lancé une initiative importante, baptisée Enterprise for Society (E4S), en collaboration avec l’International Institute for Management Development (IMD) et l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). L’institut E4S a pour principale mission de lancer une réflexion commune concernant l’avenir de l’économie. Nous nous rendons tous compte que nous sommes arrivés à un seuil critique et que nous nous engageons dans un autre type d’économie, qui a pour moteur les changements technologiques concernant les méthodes de productions et de communication, les énergies utilisées et les systèmes de transport et logistiques. Ce sont les éléments qui ont été à l’origine des révolutions industrielles dans le passé, et qui sont en passe aussi de révolutionner l’économie et et le monde d’aujourd’hui. La période que nous vivons a toutefois cela de particulier qu’elle présente aussi une urgence climatique: il est crucial que nous aboutissions à une économie plus durable et équitable. C’est le challenge, et il est incontournable. L’un des objectifs du centre E4S est de réunir, dans un cadre interdisciplinaire, des professeur·e·s et des chercheurs·euses issus de différentes disciplines, telles l’économie, le management, et la technologie ou sciences dites «dures» pour répondre ensemble à ce challenge. L’Université de Lausanne en son ensemble fait bien sûr aussi partie de cette initiative. Enfin, notre ambition est aussi de créer une coalition d’acteurs·trices issu·e·s du secteur privé et des pouvoirs publics, qui soutiendraient ce centre et contribueraient à sa réussite.
Quelle est l’approche adoptée par HEC Lausanne face à l’importance croissante de la durabilité et de l’évolution des modèles d’enseignement ?
Nous avons bien sûr introduit dans tous nos programmes des cours consacrés à l’éthique des affaires, à la durabilité ou encore aux sujets liés à l’environnement, et avons engagé des professeurs compétents dans ces domaines. Mais nous devons aller plus loin et imaginer ce que pourrait devenir l’économie et de quelle façon elle pourrait devenir plus durable. C’est de cela que traite l’institut E4S. Les nouvelles technologies engendrent la possibilité de créer un nouveau modèle économique et la difficulté réside dans le fait qu’il faut veiller à ce que ce nouveau modèle tienne toutes ses promesses et porte tous ses fruits concernant les questions sociales et environnementales. Ce que nous tentons d’accomplir est de former de futurs dirigeant·e·s qui seront capables de ce type de réflexion.
Je pense que la raison d’être des écoles de management de demain sera de créer un écosystème dans lequel cette nouvelle économie sera développée. Les écoles de management ont un rôle primordial à jouer, en ce sens qu’elles peuvent devenir des centres de développement d’écosystèmes au sein desquels des chercheurs·euses, spécialisé·e·s dans des domaines divers, pourront interagir les uns avec les autres, ainsi qu’avec des sociétés commerciales, des étudiant·e·s, des responsables politiques et de jeunes entreprises, ou startups, afin de créer ce nouveau paradigme économique.
Au cours de ces trente dernières années, la plupart des écoles se sont imitées les unes les autres et ont fait des choses finalement assez similaires, ce qui a donné naissance à un certain modèle de ce que doit être une école de management. Mais ce modèle va changer et nous allons faire face à une certaine incertitude quant à ce que nous devons enseigner, raison pour laquelle des solutions nouvelles devront être dégagées. Ces solutions ne peuvent toutefois être trouvées à l’échelle mondiale et devront d’abord être élaborées au niveau local, en fonction d’écosystèmes spécifiques. Par conséquent, l’hétérogénéité parmi les écoles, et concernant la gestion et l’économie en tant que disciplines, sera beaucoup plus grande qu’aujourd’hui. Je pense que les écoles qui connaîtront le plus grand succès seront celles qui parviendront à jouer un rôle clé dans le cadre de leur propre écosystème et dont les recherches, l’enseignement et les relations avec le secteur des entreprises suivront un chemin qui leur est propre. C’est en cela qu’elles contribueront au mieux à l’avantage concurrentiel des régions auxquelles elles appartiennent dans un monde en profonde évolution.
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